jeudi 7 avril 2011

Putain, 30 ans!


Il y 30 ans, à l'heure où j'écris ces lignes, j'étais en garde à vue dans les bureaux du SRPJ, à Brest.

Motif du délit: "Atteinte au monopole d'Etat sur la radiotélédiffusion", un délit qui n'existe plus, un concept que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître..... et encore moins comprendre.

Radio Brest Atlantique fut la dernière grande saisie de radio libre du l'ère giscardienne. Nous avions déjà dépassé le concept de radio pirate. Il ne s'agissait plus d'émettre pour affirmer la possibilité d'émettre, sans préoccupation d'audience ou de contenu. Notre objectif était de défier le pouvoir politique dans l'affirmation du droit à la liberté d'expression. Tout était conçu dans cet unique objectif. Une équipe d'une dizaine de personnes avait travaillé plusieurs semaines en amont pour préparer des émissions, quelques fois les enregistrer, selon une grille de programmes établie et affichée dans le studio. Le studio lui-même, grâce à la complicité du maire de Brest, Francis Le Blé, était installé dans un salon vitré de la mairie de manière à être vu de tous. Plusieurs jours avant le début des émissions, nous avions placardé des affiches dans toute la ville pour annoncer à la population la création de la radio, sa fréquence et ses heures de diffusion. Un communiqué avait été envoyé à l'ensemble de la presse locale et nationale. Le Parti Socialiste nous avait détaché le soutien de quelques parisiens parmi lesquels Maurice Seveno dont la popularité à l'époque nous assurait une couverture média et Rémy Devèze, authentique technicien, je dirais magicien, qui, en quelques heures optimisa nos installations et créa l'identité sonore de la radio, identité que nous conservâmes d'ailleurs jusqu'à la fin.

Je ne reviendrai pas sur les évènements, la saisie, les moments cocasses de ma garde à vue, face au commissaire Le Taillanter, venu tout exprès à Brest... Tout cela est raconté par un ancien de la radio sur radio brest atlantique.

La grave question qui se pose à moi 30 ans plus tard, c'est "où en sommes nous?". Où en sommes nous de la liberté d'expression, où en sommes nous de la démocratie directe que nous voulions promouvoir? "Vous voulez la parole? Prenez la!" Tel était le premier slogan de RBA qui se transforma ensuite en "L'antenne est à vous!"

Nous pensions innocemment que la conquête de nouveaux vecteurs de communication nous en rendrait maîtres et que notre idéal de liberté s'imposerait puisque véhiculé par nous, sur des espaces conquis.... par nous. Hélas, que d'illusions! La paysage radiophonique d'aujourd'hui n'est divers que dans sa forme, dans sa différentiation de ton et dans la régie publicitaire (quoi que...) qui alimentent les différentes enseignes. La pesanteur de la bien pensance, la lourdeur de la bourgeoisie au pouvoir, l'arsenal législatif qui réprime l'expression d'opinions sont aujourd'hui plus castrateurs encore qu'il y a trente ans.
Ecoutez, juste pour vous remémorez, les "comiques" de l'époque. Croyez vous qu'aujourd'hui il leur serait permis de dire ce qu'ils disaient? Et les chanteurs? Dans les années 70, nous connaissions les chanteurs engagés opposés au pouvoir, nous entendions leurs chansons. Qu'en est il aujourd'hui? Quand Maxime Le Forestier chantait "parachutiste", il y avait des manifestations, des cris, mais ni interdiction ni bannissement. Quand aujourd'hui de jeunes artistes chantent leur opposition à l'idéologie en place, ou même de "grands" artistes qui furent adulés parce que "politiquement conformes" et qui ont le malheur d'exprimer autre chose, on les fait se rétracter comme Florent Pagny ou on pose sur eux la lourde chape de plomb, comme Pierre Perret (écoutez avec attention le texte!!) ....

Les espaces de liberté se sont déportés sur un nouveau vecteur, internet. Existera-t-il encore longtemps sous la forme que nous lui connaissons? Loi après loi, pression après pression, nous voyons des FAI autorisées à supprimer des connections sans décision judiciaire, des hébergeurs lourdement incités à refuser l'hébergement de certains sites ou contenu d'opinion, des entreprises encouragées à utiliser des logiciels de filtrage établissant une liste de sites d'information autorisés, des procès en cascades intentés à des auteurs afin de les "assécher" financièrement, des contributeurs à des sites de débats se présentant comme "ouverts à toutes opinions" radiés et bannis sans explication, la généralisation et la banalisation de la censure dans la publication des commentaires et des réactions....

30 ans après, la situation est, à mon sens, pire. Nous aussi, à l'époque, nous n'avions que le droit d'éditer notre petit canard ronéotypé, relié avec des agrafes que nous essayions de vendre sur les marchés ou la sortie des RU (après en avoir envoyé trois exemplaires à la préfecture). Encore pouvions nous le faire et ne risquions nous pas de nous faire embastiller pour délit d'opinion. Tout juste étions nous fichés par les RG et nos acheteurs ne l'étaient pas. Aujourd'hui, sans décision de justice, un service de police peut décider de mettre un mouchard sur votre ordinateur pour surveiller le contenu de votre disque dur et l’intégralité de votre activité....

Chaque grande génération a son médium de prédilection. Chaque grande génération croit que la conquête d'un nouveau support, d'un nouveau vecteur constitue la création d'une nouvelle liberté, la PQR pour "ceux" de la Libération, la radio pour nous, internet pour les suivants. Mais à chaque fois, le pouvoir de l'argent et de la bien pensance, ceux qu'il est convenu d'appeler les bourgeois, dont bien souvent les futurs acteurs se cachent dans les rangs des rebelles du temps, grands prêtres du conformisme du temps, récupèrent à leur unique profit ce nouveau véhicule de la pensée et de la liberté d'expression. Travail sans fin toujours recommencé? Ne peut on imaginer une organisation politique de la société qui permettrait à chacun de s’exprimer, de débattre, d'affirmer sans pour autant se voir ostracisé?

30 ans plus tard, je me bats encore pour cela.... Putain! 30 ans!

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